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In Memoriam : Pierre Nora 1931-2025

10/06/2025

Pierre Nora aura été à la fois le témoin, l’historien et l’acteur du tournant du patrimoine français des décennies 1970-1980. Il a été une figure publique et un homme d’influence, grâce à son bureau de Gallimard, à sa chaire de l’EHESS, enfin à son statut médiatique, couronné par l’entrée à l’Académie.  Il a tenu la chronique nationale des « années patrimoine », à travers un flot d’introductions, de préfaces, de conclusions et d’avis autorisés ; Il y portait, parfois en quelques formules, des diagnostics sans complaisance sur les mutations en cours. Il a ainsi commenté, directement ou indirectement, dans sa revue Le Débat, la politique culturelle depuis l’Année du patrimoine lancée en 1980 par Valéry Giscard d’Estaing jusqu’au musée d’histoire de Nicolas Sarkozy, en passant par les chantiers des années Lang. Surtout, il s’est fait l’historien de la notion de patrimoine, afin d’en « élargir le sens historique », avec les sept volumes parus en 1984, 1986 et 1992.

Monument collectif de l'historiographie française, Les lieux de mémoire, qui réunirent en dix ans 130 historiens de tous âges et de tous bords, ont largement surdéterminé l’intelligence contemporaine du patrimoine, tout en infléchissant peu à peu sa définition publique, puis ses enjeux politico-administratifs. Car le « lieu de mémoire », coup de génie éditorial autant que problématique assurée, a infusé non seulement dans les sciences humaines et sociales du monde entier, mais encore dans la littérature grise des commissions et des rapports, au sein des annales professionnelles, et jusque dans les dictionnaires. La notion renvoie, selon la définition de 1984 à « toute unité significative d’ordre matériel ou idéel, dont la volonté des hommes ou le travail du temps a fait un élément symbolique du patrimoine mémoriel d’une quelconque communauté ».

« L'entreprise, dira son maître d’œuvre en 2011, reposait sur trois constatations d'époque : la transformation du rapport à l'avenir et au passé, la mutation difficile du modèle classique de la nation et de l'identité françaises, le remplacement d'un sentiment de la continuité historique par une appréhension mémorielle de soi ». Ce tournant débouchait sur le constat d’une relation présentiste à la mémoire, qualifiée de tyrannique, et qu’il faudra dépasser grâce à une discipline historienne.

L’introduction générale, « Entre mémoire et histoire » faisait office de mode d’emploi et de manifeste. Derrière l’évocation d’une « accélération de l’histoire », elle affirmait qu’« on ne parle tant de mémoire que parce qu’il n’y en a plus ». En effet les milieux de mémoire auraient cessé d’exister au cours d’une métamorphose qui a vu se succéder   dans notre rapport au passé Mémoire archive, mémoire devoir, enfin mémoire distance. La démonstration joue sur deux tableaux : le lieu de mémoire est à la fois un concept historique et un objet d'histoire. Le premier est le fruit d’un « mouvement purement historiographique, le moment d’un retour réflexif de l’histoire sur elle-même » (selon le programme générationnel des secondes Annales), tandis que la seconde perspective est celle d’« un mouvement proprement historique, la fin d’une tradition de mémoire ».

Dans cet inventaire les musées relèvent des « instruments de base du travail historique », avec les archives, les bibliothèques et les dictionnaires. A côté, donc, des « objets les plus symboliques de notre mémoire » qui comprennent les commémorations, les fêtes, le Panthéon et l’Arc de triomphe. Mais les deux peuvent se joindre : quiconque a vu Pierre Nora commenter la galerie des batailles, lors du colloque L’Histoire au musée, à Versailles, en 1998, peut témoigner de sa passion pour ce grand livre d’images où il reconnaissait tant l’atelier d’une science historique naissante que le site de conscience nationale imaginé par Louis-Philippe.

Mais Pierre Nora inscrit aussi les musées au sein des « lieux les plus naturels offerts par l’expérience concrète », avec les cimetières et les anniversaires. Le musée peut-il s’imaginer modeste, et participatif ? Il faudrait au moins le préserver de la « boulimie commémorative d’époque », dénoncée dès les premiers Entretiens du patrimoine, qu’il présidait en 1994, avant de déclarer plus rudement, en 2007, la France « malade de sa mémoire ». De ses combats contre ce qu’il nommait le « relativisme patrimonial », le trop de musées et le trop de mémoires, on débattra. Mais il faut saluer le legs considérable, quant aux représentations présentes du patrimoine, de celui qui se nomma en 2011 « historien public » -  et qui assuma toujours avec gravité cette  revendication.

 


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